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mardi 6 mars 2018

Normandie-Niemen: comment est née la légende

L’escadron Normandie-Niemen, un célèbre groupe de pilotes français qui a combattu sur le front russe, célèbre actuellement son 75e anniversaire. L'histoire du groupe est devenue extrêmement populaire en URSS. Il y a eu des films tournés sur les pilotes français; un chanteur soviétique de premier plan a consacré une chanson touchante aux pilotes. Quels autres aspects que la bravoure et le sacrifice extraordinaires des Français ont assuré un tel intérêt pour le Normandie-Niemen?



Les pilotes français aux commandes de chasseurs soviétiques Yak constituaient une unité militaire efficace. Ils ont réalisé plus de 5 000 missions et abattu au moins 273 avions allemands. Ils agaçaient donc à raison les nazis. On dit que le maréchal allemand Wilhelm Keitel a publié l'ordre suivant : « Tout pilote français capturé doit être exécuté immédiatement ».

L'idée d'amener des pilotes français sur le front russe appartenait au général de Gaulle. Le plan de l'homme qui dirigeait la résistance française contre les nazis a été approuvé par les Soviets en novembre 1942.

Héros français de l'Union soviétique


L’escadron Normandie, comme il était appelé au départ, est devenu opérationnel en mars 1943, et comportait dans un premier temps 14 pilotes et 47 mécaniciens dans ses rangs. Plus tard, pour ses accomplissements dans la bataille pour Biélorussie et la libération de la Lituanie, Joseph Staline accola « Niémen » au nom de l'unité en référence à la rivière Niémen. Bientôt, l'Escadron s'agrandit et se transforma en régiment.

De la composition initiale du groupe, seuls trois pilotes ont survécu. Au total, une centaine de Français se sont battus dans le régiment de Normandie-Niemen. Ils ont reçu de nombreuses décorations soviétiques. Quatre des pilotes ont obtenu les plus hautes récompenses soviétiques – ils sont devenus héros de l'Union soviétique, un cas rare pour les étrangers à l'époque.

Au centre de la politique internationale

L'unité était vouée à attirer beaucoup d'attention. Comme l'historienne Natalia Tatartchouk l'a souligné dans une interview à RB, dans les premières années de la guerre qui ont été les plus difficiles pour l'URSS, les « considérations militaires » derrière l'idée d'envoyer des pilotes français sur le front prévalaient pour Moscou. L'Union soviétique avait besoin de toute aide militaire possible. Ainsi, les pilotes étaient importants à cet égard.

Dans le même temps, il y avait au moins deux raisons supplémentaires qui ont poussé les dirigeants soviétiques à regarder de près l'escadron français et amené le groupe de chasse au centre de la politique internationale. Quand Staline soutint l'idée de de Gaulle de créer une unité militaire française sur le front russo-allemand, les alliés ne luttaient pas contre les nazis en Europe : l'URSS était seule à cet égard et essayait, par tous les moyens, d’attirer les troupes britanniques et américaines sur le continent. Dans ce contexte, « Normandie-Niemen a fourni une présence visible des alliés sur le front russe », a déclaré à RB le recteur de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou, Anatoli Torkounov. En utilisant cet exemple, Moscou a voulu rendre efficace la coopération militaire avec les alliés.


Staline soutient de Gaulle et la France

L’importance de Normandie-Niemen aux yeux de Joseph Staline, cependant, ne se limitait pas à ces considérations. « Staline a réalisé que le tandem de Londres et de Washington avait besoin d'un contrepoids », soutient Natalia Tatartchouk, historienne spécialisée dans l'étude des relations entre la Russie et la France. C'est pourquoi le Kremlin a soutenu la figure de de Gaulle en tant que représentant de la France pendant la guerre, tandis que les alliés ne se pressaient pas d'accepter d’emblée le statut du général. Les combattants de Normandie-Niemen à l'avant symbolisaient le soutien de Staline à de Gaulle.

L'historienne rappelle que l'approche de Staline vis-à-vis du général et de la France était importante pour Paris. Quand la guerre fut finie, la France se retrouva parmi les puissances victorieuses. Le soutien de Staline a assuré la place de la France au Conseil de sécurité de l'Onu. Aux États-Unis, le Président Franklin Roosevelt avait initialement conçu le corps principal de l'Onu sans la France.
Après la défaite du nazisme, le Normandie-Niemen est resté un symbole important de la coopération soviétique et française malgré le contexte de la guerre froide ou peut-être, au contraire, à cause de lui. Normandie-Niemen rappelait que « l'URSS avait un soutien dans le monde occidental et capitaliste », soutient Tatartchouk, ajoutant que la France était également importante pour l'Union soviétique parce que le Parti communiste français était le deuxième plus fort en Europe après l'Organisation des communistes italiens.

Le langage des alliés

Malgré l’obstacle de la langue – seuls quelques Français parlaient le russe –, les relations qui se sont établies entre les mécaniciens et les pilotes étaient chaleureuses. « C’étaient des gens comme nous, mais plus optimistes. Ils savaient que l’on ne mangeait pas comme eux, et que nos conditions de travail étaient pénibles – en hiver on se réveillait régulièrement la nuit pour réchauffer les moteurs, sinon la graisse gelait – il nous faisaient alors de petits cadeaux, nous apportaient des cigarettes, des biscuits. Ils étaient venus avec leurs mécaniciens, mais ces derniers n’ont pas pu s’adapter au froid. D’ailleurs, nos appareils étaient différents. Ils ont été renvoyés, et c’est nous qui leurs avons succédé », explique le vétéran.

Plongeant dans ses souvenirs, Iouri Maksaïev évoque le retour de mission des avions. Si le pilote avait éliminé un appareil ennemi, il réalisait un tonneau avant l’atterrissage. « Dans le cas de deux appareils abattus, le pilote – on l’appelait, à la française, ‘mon commandant’ – effectuait un double tonneau et nous, au sol, on le saluait avec toute la fierté possible », souligne avec emphase l’ancien mécanicien.

Puis mon interlocuteur change de ton : il revit le jour de la disparition de Lionel Menu, pilote qu’il servait. Iouri Maksaïev se souvient des moindres détails du 29 janvier 1945 : du temps qu’il faisait, du nombre d’avions partis en mission et des longues minutes d’attente. Il n’a jamais revu ce pilote qui reste porté disparu jusqu’à aujourd’hui. Sur 96 Français engagés au combats en URSS, 42 ne sont pas revenus.


Le Jour de la victoire

« En mai, nous étions déployés en Prusse-Orientale. Un soir, les Français sont venus nous annoncer la grande nouvelle : ‘Voïna konets ! Voïna konets !’ [La guerre est finie, ndlr]. On ne les a pas pris au sérieux. Le lendemain matin on a été réveillés par le bruit de salves d’artillerie, c’était la victoire », dit-il.
Les pilotes sont repartis en juin. Joseph Staline leur a offert leurs appareils et certains mécaniciens les ont accompagnés en France. « Je ne faisais pas partie de la délégation. On a fait nos adieux en URSS. Est-ce que j’éprouvais un sentiment de tristesse ? Non ! On était tellement heureux que la guerre soit finie que l’on ne pensait à rien d’autre ».

Ce n’est qu’en 2002, lors de son premier voyage en France, que Iouri Maksaïev reverra certains des pilotes qu’il avait servis. « Oui, bien sûr que l’on s’est reconnus. Il y avait Roland de la Poype et Georges Masurel. On s’est donné de grosses accolades et c’est là que l’on a sabré le champagne », se rappelle-t-il d’une voix tremblante et me tend des photos prises en France.

« Que dire en conclusion ? Je souhaite qu’il n’y ait plus de guerre, que les gens soient épargnés de ces horreurs », déclare celui qui en fut un proche témoin.


Normandie-Niemen dans les films


L'histoire de Normandie-Niemen a été popularisée en URSS. Le premier film où les pilotes de l'escadron figuraient en vedette est sorti dans les salles dès 1946. Il s'agissait de la comédie Une entreprise complexe où jouait le futur célèbre metteur en scène soviétique Youri Lioubimov.

Plus connu des téléspectateurs russes, le film Normandie-Niemen tourné en 1960. C'était une coproduction soviétique et française. Autour de cette époque, le célèbre chanteur et acteur soviétique Mark Bernes a interprété la chanson Souvenirs de l’escadrille Normandie-Niemen.




Normandie-Niemen dans les films VF
 Comme Torkounov l'a souligné, le film et la chanson ne sont pas apparus accidentellement. C'était l’époque du retour au pouvoir de de Gaulle en France et les deux parties étaient désireuses de développer les liens mutuels. Le point culminant de cette tendance a été la « visite triomphale » de de Gaulle à Moscou en 1966.

Les participants à la conférence organisée par la société d'histoire russe à Moscou pour marquer le 75e anniversaire de Normandie-Niemen ont fait quelques allusions à la politique de de Gaulle visant à mettre fin à la confrontation avec Moscou dans l'Europe d'après-guerre. Selon eux, dans le contexte politique actuel, le cap maintenu par de Gaulle en général et l'expérience du Normandie-Niemen en particulier pourraient constituer une bonne source d'inspiration pour la génération actuelle de dirigeants politiques.

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